C’était une volonté clairement affirmée de Jean-Claude Juncker lors de son arrivée à la tête de la Commission en 2014 : pousser l’Europe « à faire preuve de davantage de détermination politique en matière de migration légale ». Une façon, selon lui, de répondre aux pénuries de compétences, et de disposer d’une main-d’œuvre suffisamment solide pour permettre à une population vieillissante de continuer de bénéficier du modèle social européen. Cinq ans plus tard, à peu près rien n’a été fait. La grande crise de 2015 a tout balayé, érigeant la protection des frontières extérieures — et la lutte contre l’immigration irrégulière — en priorité absolue.
« Au niveau européen, la question de l’immigration légale est aujourd’hui complètement abandonnée. Elle ne figure pas dans la feuille de route adoptée par les chefs d’Etat et de gouvernement en juin 2019, et il me semble qu’il sera à l’avenir très compliqué d’en discuter en commun », souligne le spécialiste des questions migratoires Yves Pascouau, directeur du programme Europe au sein de l’association Res Publica. Délicat politiquement, le débat est bordé juridiquement. Le traité de Lisbonne stipule que les Etats membres sont seuls compétents pour fixer des quotas d’étrangers autorisés à venir sur leur territoire à des fins d’emploi, d’études et de recherches. C’est ce que le gouvernement français a décidé de faire, dans le cadre des mesures annoncées mercredi.
Titres de séjour. « Chaque Etat membre établit comme il le souhaite ses besoins en matière de migrations légales, y compris combien ou pour quel secteur », rappelle Tove Ernst, porte-parole de la Commission. La situation varie beaucoup au sein de l’UE. Certains pays ont une migration très largement professionnelle : c’est le cas de la Pologne, qui délivre de nombreux titres de séjour aux fins du travail salarié, essentiellement à l’intention des Ukrainiens, pour pallier la forte émigration de sa main-d’œuvre vers l’ouest.
D’autres reçoivent au contraire beaucoup de ressortissants d’Etats tiers au titre des migrations dites de droit (regroupement familial, asile), pour lesquelles il n’est d’ailleurs pas possible de fixer de limitations. « En France, il y a une idée qui a longtemps été défendue, selon laquelle les emplois qui ne sont pas pourvus le seront par la migration familiale et les réfugiés, et qu’il n’était pas forcément nécessaire de mettre en place une politique d’immigration du travail », explique Yves Pascouau. Mais, en pratique, il existe de nombreux secteurs d’activité où les employeurs ont recours à une main-d’œuvre irrégulière.
L’Union européenne se contente, quant à elle, de définir les conditions communes d’admission, les procédures et les droits des personnes concernées, y compris pour permettre aux employeurs d’avoir recours à ce type de main-d’œuvre. L’immigration professionnelle fait ainsi l’objet de plusieurs directives, l’une pour les travailleurs saisonniers, les autres pour les travailleurs très qualifiés (titulaires de la carte bleue européenne, chefs d’entreprise et employés de multinationales transférés au sein de l’UE, étudiants et chercheurs).
Blue card. La Commission a proposé en juin 2016 une révision de la directive « blue card », comprenant notamment des critères d’admission moins stricts, un seuil salarial moins élevé, un contrat de travail d’une durée minimale de six mois au lieu de douze et la suppression des régimes nationaux parallèles. Mais le texte est toujours en discussion au Parlement et au Conseil. Pendant ce temps, moins de 12 000 cartes bleues ont été octroyées en 2017, alors même que l’Europe souffre d’une pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés comme les sciences, la technologie, l’ingénierie ou les soins de santé.
En avril 2016, la Commission avait évoqué d’autres axes de travail, visant à se doter d’un « modèle plus cohérent et efficace de gestion de la migration légale » et à garantir « des voies d’accès légales à l’UE ». Mais ils sont restés lettre morte. « Il y avait une ambition de faire bouger les choses sur les voies légales de migration, mais cela a peu fonctionné, regrette l’eurodéputée PS Sylvie Guillaume. Peu d’initiatives ont été prises, et on a eu énormément de mal à arracher les visas humanitaires. Il a manqué un vrai courage politique, principalement de la Commission. On peut imaginer que la crise de 2015 est passée par là. »
L’immigration régulière ne semble pas être une priorité de la future présidente de l’exécutif européen Ursula von der Leyen, qui préfère mettre l’accent sur la modernisation du régime d’asile commun et le renforcement des frontières extérieures. Mais le Parlement européen n’a pas dit son dernier mot.
L’Opinion : Isabelle Marchais, le 07 novembre 2019 – https://www.lopinion.fr/edition/international/sein-l-ue-dossier-l-immigration-legale-est-reste-a-quai-202380
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