Les flux migratoires ont largement baissé depuis 2015, au plus fort de la crise migratoire. Mais les États européens ne sont toujours pas parvenus à s’entendre sur une répartition équitable des migrants. Pas plus qu’ils n’ont réussi à réformer le système d’asile, observe le chercheur Yves Pascouau, spécialiste des migrations et directeur des programmes Europe de l’association Res Publica.
Un million en 2015 ; près de 120 000 en 2019. Quatre ans après la crise migratoire, les arrivées de migrants sur le sol de l’Union européenne ont largement chuté. Mais rien n’est résolu. Des êtres continuent de mourir en mer Méditerranée ou sur les dangereuses routes de l’exil. Et les États membres se montrent toujours aussi divisés face à leur accueil, leur répartition et leur intégration. La priorité demeure, pour beaucoup, la protection des frontières et les politiques de retour vers les pays d’origine…
Entretien avec Yves Pascouau, spécialiste des migrations et directeur des programmes Europe de l’association Res Publica.
Quatre ans après la crise migratoire de 2015, où en sommes-nous ?
La grosse crise est terminée, les arrivées ont dégringolé. Mais rien n’est réglé. Progressivement, la politique de maîtrise des flux migratoires a pris le dessus sur la politique d’asile. On s’est mis à distinguer le réfugié, parfois qualifié de « bon migrant », de la grande catégorie des migrants économiques. Cette simplification abusive fait oublier les migrations familiales, de travail, pour les études…
Comment s’explique cette baisse ?
La fermeture des routes, dont celle des Balkans fin 2015, a considérablement ralenti les arrivées. La « Déclaration » nouée entre l’UE et la Turquie, en mars 2016, a aussi joué. Les Européens ont versé 3 milliards d’euros, et sont en passe d’en débloquer autant, pour inciter Ankara à empêcher les départs depuis ses côtes. C’est l’un des programmes qui a le mieux fonctionné : l’argent a profité directement aux réfugiés, via les acteurs locaux et les ONG. Mais cet accord fragile ne tient que sur la bonne volonté du président Erdogan. Or, les migrants ont toujours été un outil de pression diplomatique entre ses mains.
Détournées, les routes migratoires sont devenues plus dangereuses…
Yves Pascouau, spécialiste des migrations. | OUEST FRANCE
Oui, d’autant que les ONG peinent à exercer leurs missions de sauvetage en Méditerranée, du fait de la réticence des États.
L’UE ne fait-elle que refouler ?
L’unique objectif de ces dispositifs est bien de limiter, voire stopper les flux. C’est ainsi que la Turquie est devenue le pays qui accueille le plus de réfugiés au monde (trois millions). Au Liban, plus d’un habitant sur quatre est un réfugié. Idem en Jordanie… Ces pays ont pris une part colossale dans l’accueil des Syriens. Ils ont été aidés par des fonds de l’UE mais, au quotidien, ce sont bien eux qui gèrent, pas les Européens.
Que font les Européens face à l’enfer des camps libyens ?
C’est la face la plus sombre de ce que l’UE a fait. Il est difficile, diplomatiquement et juridiquement, d’intervenir dans un pays tiers. Mais son action reste très nébuleuse. Je ne pense pas qu’il y ait eu d’accord entre l’Union et la Libye, mais des fonds européens ont été versés pour former et équiper ses gardes-côtes. On ne sait plus trop ce qu’a fait l’Italie, si ce n’est qu’elle a noué un pacte avec des autorités libyennes, voire des milices, pour les inciter à bloquer les migrants en l’échange d’argent (en 2017). La France a aussi envisagé, avant d’y renoncer, de livrer six frégates. Quelle hypocrisie ! On voulait équiper les gardes-côtes pour qu’ils ramènent les migrants dans l’enfer libyen.
La fermeture de l’Italie, début 2019, a-t-elle marqué un tournant ?
Ce blocage illustre l’échec de la solidarité européenne. Il a engendré une situation catastrophique en Grèce. L’Espagne est aussi redevenue une porte d’entrée dans l’UE, comme dans les années 2000. Et les divisions restent très fortes entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale/orientale, qui tient un discours dur sur le contrôle des frontières extérieures et veut favoriser les retours vers les pays d’origine. Mais il n’y a pas que du négatif : les institutions européennes ont réussi à gérer la crise. Si la situation se répétait, les erreurs de 2015 ne se reproduiraient pas.
La réforme de l’asile patine ?
Il faut l’unanimité des États pour réviser le système. Mais aucun consensus n’est possible, actuellement. La seule issue serait d’établir une coopération renforcée entre quelques États, prêts à agir. Comme cela s’est passé, mais au coup par coup, à l’arrivée de navires d’ONG, cette année.
Ouest-France – Cécile RÉTO, le 17/12/2019
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