A l’occasion de sa conférence de presse du jeudi 25 avril, le président de la République a abordé la question de Schengen. Il a repris, avec un vocabulaire légèrement différent, les orientations qu’il avait déjà développées dans sa lettre « Pour une renaissance européenne », publiée au mois de mars.
L’idée centrale, rappelée en avril, repose sur la proposition de modifier les règles qui gouvernent le fonctionnement de l’espace Schengen, et en particulier d’envisager un espace comprenant un nombre réduit d’Etats. Si cette proposition a une dimension politique forte, elle mérite néanmoins d’être discutée, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre.
« La frontière, c’est la liberté en sécurité. » La lettre du président français faisait de la frontière, et de son contrôle, le point d’ancrage de la politique migratoire. La frontière doit protéger, c’est-à dire garantir la liberté de circulation de ceux qui sont déjà dans l’espace Schengen et assurer le contrôle efficace de ceux qui veulent y accéder.
Pour réaliste qu’elle soit, la pertinence de cette approche interroge, car elle réduit la politique migratoire à la question de la gestion des frontières. Or cette politique ne peut se résumer à cette seule dimension. Elle doit être plus large et englober notamment la question de l’immigration légale.
Cela découle de l’existence même de l’espace Schengen, qui implique une coordination, voire une harmonisation, des politiques nationales d’immigration légale, telles que l’immigration professionnelle ou étudiante. Cela résulte de la mondialisation, dont les migrations font partie intégrante, comme l’a souligné le pacte mondial des Nations unies sur les migrations.
Frontières et ambitions
Or, et indépendamment de l’évocation vague d’établir des partenariats universitaires avec l’Afrique, l’approche formulée dans le projet « pour une renaissance européenne » est articulée sur la seule question de la frontière et réduit par conséquent la portée des ambitions européennes.
En focalisant sur ce thème, le président souligne aussi que la frontière est devenue, sous l’impulsion de la Hongrie et de ses partenaires, le seul point sur lequel il est désormais possible de discuter au niveau européen. Face à l’incapacité de l’Union européenne de contrer cette orientation, le président Macron est contraint de porter le combat sur le
terrain privilégié de ses adversaires.
Dans ce contexte, le président français plaide pour une remise à plat de l’espace Schengen. Schématiquement, les Etats qui n’assureraient pas la responsabilité de contrôler rigoureusement les frontières ou qui n’assumeraient pas leur part de solidarité en matière d’asile ne pourront plus participer à l’espace Schengen.
Opération difficile
Si le message s’adresse à l’Italie et aux pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), il propose l’ouverture d’une discussion sur l’articulation entre liberté de circulation, solidarité et responsabilité. Tout manquement aux obligations des deux dernières exclurait du bénéfice de la première. Cependant, la mise en œuvre de ce projet reste incertaine.
Sur le plan des principes, tout d’abord, car l’éventuelle réduction du nombre d’Etats faisant partie de l’espace Schengen réduirait d’autant… le marché intérieur. Schengen a permis
l’établissement d’un espace sans contrôles aux frontières intérieures. Exclure des Etats de Schengen, c’est réduire le marché intérieur et les gains économiques qu’il génère.
Sur le plan juridique, ensuite, l’opération est difficile. La liste des Etats membres de l’espace Schengen figure dans un protocole annexé au traité. Pour exclure un Etat, il faudrait modifier le traité. Cette opération est possible en droit, mais elle requiert une décision à l’unanimité, ce qui la condamne politiquement.
Une autre voie serait de modifier les règles existantes en proposant de rétablir les contrôles aux frontières intérieures vis-à-vis des Etats qui ne remplissent pas leurs obligations. Cela
concernerait notamment les manquements aux obligations de solidarité. Mais il faudrait pour cela qu’une majorité qualifiée d’Etats ainsi que le Parlement européen acceptent ces modifications. Dans le contexte politique actuel et futur, rien ne permet de préjuger d’une telle issue.
Le débat sur la « remise à plat » ou la « refondation » de l’espace Schengen est posé, mais rien n’indique qu’il puisse aboutir. Si la voie d’une réforme est étroite, tout échec fragiliserait encore plus l’espace et les libertés qui l’accompagnent.
Yves Pascouau est chercheur senior associé à l’Institut Jacques Delors et chercheur à l’université de Nantes, directeur du site European Migration Law, coordinateur
du site migrationsenquestions.fr
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