Yves Pascouau, directeur de European Migration Law, coordinateur du projet « Migrations en Questions », donne son avis sur une proposition apparue avec la campagne des élections européennes.
L’idée d’établir un système par lequel les demandes d’asile ne seraient plus déposées, voire examinées, en France ou en Europe mais dans des « pays tiers sûrs » est réapparue dans le cadre de la campagne des européennes. Cette proposition aurait pour effet de n’accueillir en France, ou en Europe, que les demandeurs d’asile « véritables », c’est-à-dire ceux qui, après examen, seraient légitimes à demander une protection. Séduisante sur le principe, cette proposition soulève néanmoins des questions qui rendent sa mise en oeuvre difficile.
La première question concerne la définition du pays tiers « sûr ». Selon une directive européenne, les pays sont sûrs lorsqu’ils appliquent les principes qui sont garantis aux demandeurs d’asile par les États européens. Parmi ces principes, figurent le respect du principe de non-refoulement, l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou encore la possibilité de solliciter le statut de réfugié et de bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève. En encadrant cette notion, le droit a réduit le champ des pays qui peuvent entrer dans la catégorie des pays tiers sûrs. En pratique, seuls certains pays des Balkans occidentaux peuvent être éligibles à ce statut.
Quelle contrepartie ?
La deuxième question porte sur la participation des pays tiers à ce système qui comporte deux obligations. D’une part, celle de réadmettre les demandeurs d’asile qui sont entrés en Europe en transitant par leur territoire. Puisqu’un pays tiers est sûr, le demandeur d’asile aurait pu, ou même dû, y déposer sa demande. Ainsi, les États européens peuvent refuser d’examiner la demande d’asile et renvoyer le demandeur dans le pays tiers sûr pour que ce dernier procède à l’examen de la demande.
D’autre part, les pays tiers doivent adapter leur système d’asile pour enregistrer toutes les demandes d’asile. En fonction du nombre des arrivées, cela pourrait impliquer d’établir des centres dédiés à cette tâche, autrement dit des « hotspots ». Compte tenu de la charge que représente ce dispositif, humainement et financièrement, de nombreux pays tiers ont déjà manifesté leur réticence à en accueillir sur leur territoire.
Enfin, la troisième interrogation porte sur la contrepartie offerte par les États européens. Si elle comprend une dimension financière pour aider les pays tiers, elle doit aussi être accompagnée d’un dispositif de réinstallation des demandeurs d’asile et réfugiés depuis les pays tiers sûrs vers les États européens. Cette contrepartie est essentielle pour les pays tiers qui doivent avoir l’assurance que les États européens réinstalleront un nombre significatif de personnes. Or, les Européens continuent de s’opposer sur le caractère obligatoire ou facultatif de la réinstallation tout autant que sur le nombre de personnes à réinstaller.
La solution visant à solliciter des pays tiers dits « sûrs » n’est pas si simple. Juridiquement, le transfert de l’enregistrement et de l’examen des demandes d’asile à des pays tiers impose que les principes garantis par les États européens le soient aussi dans ces pays. Politiquement, les pays tiers peuvent réclamer d’importantes contreparties. Économiquement, le coût pourrait s’avérer plus élevé que si l’examen des demandes s’effectuait sur le territoire européen. Serait-ce alors une « fausse bonne idée » ? »
Lien vers l’article : https://www.ouest-france.fr/monde/migrants/point-de-vue-les-pays-tiers-surs-une-fausse-bonne-idee-6271308
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