L’Islam en partie existe dans les pays occidentaux depuis longtemps. Il ne faut pas oublier que l’Empire Turc était de culture musulmane pour l’essentiel même s’il était multiculturel. Et pour ce qui est de l’Europe de l’Ouest notamment et aussi de l’Est, on a eu des pays qui avaient été sous la dépendance de l’Empire Ottoman ou une partie de la population, parfois la totalité, était de culture musulmane.
C’est le cas du Kosovo, c’est le cas de la Bosnie-Herzégovine, c’est le cas également d’une partie des populations Bulgares surtout avant 1990, la plupart sont repartis en Turquie depuis la chute du rideau de fer etc.
Donc, l’Islam de l’Empire Ottoman fait partie de la culture occidentale de l’Europe, ça il faut l’avoir en tête.
Là-dessus se sont rajoutées des populations migrantes et des réfugiés. Donc on a une très grande diversité de l’Islam en Europe et surtout des manières d’être musulman en Europe de l’Ouest dans la mesure où chacun a dû un peu inventer sa façon de poursuivre sa pratique religieuse dans des pays européens notamment mais occidentaux plus largement qui sont très sécularisés et parfois institutionnellement laïcs ce qui est le cas de la France.
Et ce qui est souvent une découverte pour ces populations de culture musulmane qui viennent de pays où l’Islam est sinon la religion d’Etat, c’est le cas de certains pays, ou tout au moins la religion de l’écrasante majorité de la population.
La difficulté c’est que dans ces pays sécularisés, l’Islam est très largement dominé depuis le milieu des années 70 par des associations financées par les pays du Golfe. Il ne faut pas oublier que la crise pétrolière dont on a parlé en Europe date de 73 et qu’à partir de 74-75 dans les pays de culture musulmane d’origine, c’est-à-dire la Turquie, l’Algérie on a vu fleurir des mosquées et qu’ensuite les migrants ont voulu, surtout avec la fermeture de l’immigration, en se sédentarisant, vivre en relation et en éduquant leurs enfants dans leur culture musulmane, avoir aussi des mosquées, des associations cultuelles. Et comme les pays où ils sont installés en situation de migration sont des pays laïcs, ils se sont adressés aux pays du Golfe qui fournissent l’argent pour construire les mosquées et les écoles coraniques, les médersas.
Aujourd’hui par exemple en France, les 2/3 des associations cultuelles sont des associations financées très largement par l’Arabie Saoudite et par quelques autres pays du Golfe mais surtout par l’Arabie Saoudite, qui a importé un Islam très traditionnel qui ne correspondait pas à la culture d’un Islam plutôt populaire et été celui du rite Malékite des pays du Maghreb et qui parfois a imposé des façons de vivre, des façons d’être qui étaient considérées, comme par exemple le foulard en France, comme incompatibles avec les sociétés occidentales.
Alors, il y a des variantes en la matière. L’Angleterre tolère beaucoup plus le foulard que nous, elle tolère aussi le turban des indous etc. Mais dans certains pays effectivement il y a des incompatibilités, plus toute une série de thématiques très importantes en occident comme l’égalité hommes-femmes, les droits de la succession entre les garçons et les filles dans les familles, qui ne sont pas égalitaires dans beaucoup de pays d’Islam, et tout une série de modes de vie qui sont liés au mariage, au recrutement du conjoint, à beaucoup d’éléments de la vie quotidienne.
Plus la visibilité de l’Islam. Ce qui a frappé les sociétés occidentales à partir des années 80 c’est que l’Islam qui était auparavant caché, qui était celui d’hommes seuls qui rasaient les murs et qui éventuellement faisaient la prière de façon un peu cachée dans leurs usines ou dans leur foyer, ont commencé faisant venir leur famille à vouloir pratiquer l’Islam dans l’espace public.
Il y a des auteurs comme Bruno Etienne, comme Jocelyne Cesari, comme Rémy Leveau qui ont bien montré ce phénomène. Donc on a vu apparaître des mosquées, des quartiers de culture musulmane avec du prêt-à-porter musulman, la vente de cassettes de prédications d’Al-asr au Caire, bien sûr de Coran, de marché de la viande Halal dans beaucoup de quartiers où il y a des populations de culture musulmane, la visibilité du foulard dans l’espace public. Ça a choqué les sociétés occidentales.
Mais la plupart des travaux de terrain montrent que l’Islam est tout à fait compatible avec les sociétés occidentales. La plupart des populations de culture musulmane bricole, si j’ose dire, la façon d’être musulman avec le fait de vivre dans ces sociétés occidentales. En dehors des grandes fêtes religieuses comme le Ramadan et quelques autres, la plupart des façons d’être au quotidien des musulmans n’est pas plus visible que l’appartenance à telle ou telle autre religion. Et la pratique religieuse est en général faible.
Ce qui a changé la visibilité, ça a été aussi le terrorisme. Tout le monde a cru que les terroristes étaient des musulmans intégristes. Or, ce sont des gens qui souvent découvrent l’Islam et qui ont trouvé dans l’Islam l’occasion d’exprimer leur violence mais l’aurait trouvé ailleurs, dans d’autres causes, si j’ose dire, dans d’autres contextes. Ça aurait pu être l’extrême gauche, l’extrême droite et quelques autres causes indépendantistes ou identitaires dans d’autres contextes.
Donc cela a complétement biaisé le regard que l’on porte sur l’islam aujourd’hui mais la plupart des populations de culture musulmane d’après les enquêtes sont des gens qui se revendiquent souvent du pays où ils sont nés, c’est-à-dire des pays occidentaux français, britannique etc., et ont une façon tout à fait pacifique de se vivre comme musulmans comme ils se vivraient dans une autre religion dans des sociétés sécularisées.