Enrico Letta, Doyen de l’école des affaires internationales de Sciences Po, nous explique pourquoi les questions d’asile et d’immigration sont devenues ces dernières années une priorité politique majeure et vont probablement être au centre de tout débat lié à l’Europe
L’impact des questions d’asile et de l’immigration dans le débat politique et public est en train de devenir énorme. C’est probablement le sujet principal. Et ce n’était pas comme ça il y a deux ans, trois ans. La chose a complètement explosé et est devenue le centre de tout.
Ce n’était pas comme cela il y a 15 ans ou 20 ans. L’Europe faisait face à des questions migratoires mais c’était vraiment la 15ème, 20ème politique européenne en termes de ranking (classement) dans l’importance. Le fait que ce soit Varsovie le siège de Frontex, le 1er instrument que l’UE a construit sur les questions migratoires est la démonstration de cela. Varsovie n’est pas la Méditerranée, aujourd’hui le grand sujet c’est la Méditerranée.
Pourquoi le grand sujet ? Parce qu’il y a eu naturellement la grande crise des migrants et des réfugiés des dernières années et ça a été le cas dans le même temps où il y avait la crise économique et financière. Donc « je perds mon boulot, mon pouvoir d’achat s’affaiblit, il y a d’autres gens qui arrivent, ils arrivent de très loin, ils ont des religions différentes de la mienne, ils ont des couleurs de peau différente de la mienne. J’ai peur, mon identité s’affaiblit et surtout je vois que c’est leur présence qui affaiblit mon pouvoir d’achat et donc ma capacité d’avoir un boulot ».
Et puis l’autre grand sujet, c’est qu’aujourd’hui il y a un gap (écart) entre perception et réalité. Les gens ont la perception que le phénomène migratoire est beaucoup plus grand en termes de dimension que ce qu’il est en réalité. Et donc la peur est plus grande, plus importante, et cette question d’identité, de perte d’identité, dans ce monde qui est en train de changer devient essentielle.
C’est pour cela que je pense que par rapport à il y a 20 ans aujourd’hui, on va vivre un moment dans lequel la question migratoire va se lier aux questions identitaires et va être probablement le centre de tout débat public, de tout débat politique lié à l’Europe.